Du 20 au 24 mai dernier, avaient lieu à Paris plusieurs évènements culinaires exceptionnels autour de la cuisine zen japonaise : Deux cours thématiques (le premier sur les sushi végétaliens, le second sur le tofu et le miso), un dîner de cérémonie bouddhiste, et une masterclass, étaient organisés, avec la présence de Mari Fujii, une japonaise spécialiste de cette cuisine et venue spécialement pour l’occasion. Ces différents évènements ont été initiés par Valérie Duvauchelle, de la cuisine de la bienveillance. Retour en images sur cette semaine culinaire placée sous le signe du zen.
QUELQUES MOTS SUR LA SHOJIN RYORI
La shôjin ryôri 精進料理 est souvent traduit par l’expression « cuisine de la dévotion », bien que le terme dévotion ne soit pas la traduction littérale du mot shôjin. En effet, shôjin désigne dans le bouddhisme l’une des portes de libération appelée Virya paramita, et qu’on peut traduire par enthousiasme vigoureux (merci Valérie pour ces précisions). Aujourd’hui, la shojin ryori désigne une cuisine végétalienne issue des principes bouddhistes interdisant de tuer des êtres vivants pour se nourrir. Sont donc exclus de l’alimentation tous les produits carnés. Il arrivent néanmoins que les moines bouddhistes consomment de la viande si celle-ci est reçue lors des offrandes, dont vivent encore de nombreux moines. Dans ses fondements, la cuisine shojin ryori écarte également les plantes de la famille des liliacées comme l’oignon, l’ail, le poireau, et l’asperge. D’une part parce que leur odeur et leur goût persistant ne seraient pas propices à la méditation, et d’autre part, parce que la cueillette de ces plantes entraine leur mort puisque c’est le bulbe qui est consommé. Dans sa forme traditionnelle, le repas du moine zen est frugal, et se compose en général de trois bols, composé de riz, de soupe, et d’un autre plat à base de légumes. L’attention est portée sur l’usage de produits de saison (pour vivre les saisons à travers ce que l’on mange), et sur l’utilisation optimale des produits afin de ne rien gâcher ni jeter. A l’heure où la lutte contre le gaspillage alimentaire sembler s’intensifier et où des voix s’élèvent contre les produits présents hiver comme été dans les magasins, on constate que les principes de la shojin ryori trouvent une résonance toute particulière. La cuisine zen ne saurait être comprise uniquement comme un régime alimentaire. En effet, la shojin ryori derrière sa simplicité cache une grande profondeur, et remet en harmonie celui qui produit l’aliment, celui qui le prépare, et celui qui le consomme. La shojin ryori invite également à manger en pleine conscience et à voir dans un simple bol, une représentation cosmique du monde où toutes les choses sont liées et interdépendantes.
VALÉRIE ET LA CUISINE DE LA BIENVEILLANCE
Valérie à vécu une quinzaine d’années au Japon. Je l’ai rencontrée en 2008 lors de mon premier long séjour dans l’archipel. Déjà, le zen était entré dans sa vie. Dans sa petite maison traditionnelle située à Nakano, un quartier tranquille de Tokyo, Valérie teste et invente sans relâche des recettes qu’elle publie ensuite sur son blog culinaire. Elle découvre le zen à travers la méditation et s’initie à la cuisine pratiquée dans les temples. Comprenant l’importance du rapport profond qui unit l’homme à la nourriture, elle continue de se familiariser avec cette cuisine vivante, et en apprend peu à peu les secrets au fil des rencontres et des séjours dans des temples zen. En 2012, elle rentre en France avec l’idée de transmettre et de partager ses nombreuses connaissances. Valérie est également impliquée dans une communauté Bouddhiste de la capitale, La Montagne Sans Sommet, dont elle est devenue le Tenzo (cuisinier) en janvier 2015.
Valérie organise régulièrement des cours et des ateliers, et prépare également un livre sur la cuisine zen.
MARI FUJII
Mari Fujii est née à Hokkaido en 1947. Elle étudie à l’université de Waseda. Son mari, Sotetsu Fujii exerce en tant que tenzo 典座 (la personne en charge des cuisines) d’un temple zen de Kamakura. Auprès de lui, elle apprend les secrets de cette cuisine millénaire et décide après sa mort de transmettre cet héritage culinaire et spirituel. En 1992, elle se rend également à Pékin pour apprendre la cuisine médicinale chinoise. Depuis, elle donne des cours chez elle au Japon, mais également à l’étranger (Londres, Paris) où elle se rend depuis une vingtaine d’années pour continuer de diffuser la cuisine shojin ryori et ses bienfaits.
Mari Fujii a publié plusieurs ouvrages sur la cuisine zen, mais aucun n’est encore disponible en français. Cependant, les anglophones pourront se rabattre sur son seul livre publié en anglais, the Enligtened kitchen.
LE COURS DE CUISINE ZEN
Le 20 mai dernier, les sushis végétaliens étaient au menu de ce premier cours de cuisine. Les sushis, même végétaliens, ne font pas vraiment partie de la cuisine quotidienne des moines zen, mais l’idée était de montrer qu’il est possible d’associer l’un des plats emblématiques de l’archipel, le sushi, et les principes de la cuisine végétalienne.
Au programme : temari zushi, temaki zushi, gunkan maki, agedashi dôfu, hiyayakko…
Nous étions 8 inscrits ce soir là à pouvoir profiter de ces superbes recettes.
Valérie et Mari ont d’abord passé en revue et expliqué les particularités des différents ingrédients de base de la cuisine japonaise (kombu, mirin, shoyu, miso, vinaigre…). Chaque participant a même pu faire une petite dégustation de trois différents miso.
Les sushis sont des plats simples à réaliser, mais ils demandent souvent du temps dans leurs préparations. Le riz, élément essentiel dans les sushis, doit être préalablement lavé pour retirer le maximum d’amidon. On le laisse en général reposer quelques heures avant de le cuire. Pour la cuisson du riz, la règle est simple : un volume de riz pour un volume d’eau. La cuisson à la casserole demande un peu d’expérience par rapport au traditionnel autocuiseur qui occupe tous les foyers japonais, mais rien de bien compliqué. Le riz à sushi est meilleur lorsque ses grains gardent un peu de fermeté. Valérie conseille de mettre un peu moins d’eau pour la cuisson, car une fois cuit, le riz est assaisonné à l’aide d’un mélange de vinaigre et de mirin (un saké liquoreux).
Pendant ce temps, tous les participants étaient mis à contribution, pour éplucher et couper les légumes nécessaires aux différentes recettes.
Voici le résultat en images de ces deux bonnes heures de travail.
Les cours avaient lieu dans le très joli atelier de Ona Maiocco dans le 18ème, Super naturelle.
LE DÎNER DE CÉRÉMONIE
C’est un évènement assez rare à Paris. La montagne sans sommet, un centre zen de la capitale, organisait le 24 mai dernier, un dîner de cérémonie traditionnel, auquel était inscrit une quarantaine de personnes.
Le dîner était organisé dans le magnifique Dojo Saint Ambroise, rue de la Folie Méricourt (75011). La soirée a débuté vers 19h, et s’est ouvert avec une cérémonie zen, composée de chant (le sutra du cœur appelé Hanya shingyo), d’une initiation au zazen (la méditation assise), et d’un enseignement bouddhiste (teisho).
Puis les moines, en compagnie du cuisinier ont rejoint l’autel au centre de la pièce pour procéder à un geste fort de la culture bouddhique : L’offrande au bouddha.
Pendant ce temps, en cuisine, Mari et son équipe redoublent d’efforts pour dresser dans les temps les 40 plateaux prévus, soit 360 bols !
Ensuite, les moines se sont relayés pour servir les 40 invités dans un silencieux ballet, empreint de dévotion.
Voici dans le détail, les 9 bols qui composaient ce repas de cérémonie, entièrement végétalien. Au menu : soupe claire, tofu soyeux, riz au sakura (fleur de cerisier), légumes bouillis, friture de racines de lotus, brochettes de konyaku (konjac) aux deux miso, légumes marinés, salade de pomme de terre, et tofu de sésame.
Ce repas met en valeur des produits simples et de saison et permet de retrouver les différents goûts. Il invite à la méditation et à la communion par des saveurs simples et véritables, sans artifice ni intention d’éblouir. Il n’y a pas d’ordre dans les plats, et il est même conseillé de choisir à l’instinct, et d’aller d’une saveur à l’autre sans ordre particulier.
Les invités étaient priés de manger comme le font traditionnellement les moines, c’est à dire dans le silence le plus total, pour permettre de vivre le repas non comme un banal acte de consommation, mais comme comme un acte de pleine conscience. Dans les temples, il est aussi d’usage d’observer au moment du repas, les cinq contemplations : comprendre d’où vient la nourriture et le travail qu’elle a demandé pour arriver jusqu’à nous, manger avec gratitude, transformer nos états mentaux négatifs comme la gourmandise, s’efforcer de manger en réduisant la souffrance des êtres vivants, et développer la fraternité.
De manière plus informelle, Valérie avait également préparé un petit dessert, toujours sur le thème de la saison, composé d’une fine crêpe de farine de riz, fourrée à la pâte de haricot rouge sucrée, le tout entouré d’une feuille de cerisier.
Vous l’aurez compris, au delà d’un simple dîner, il s’agissait surtout d’une expérience globale, empreinte d’une belle spiritualité, et qui je pense n’aura laissé personne indifférent (merci à CECJ2 pour son article). J’ai trouvé pour ma part que ce diner permettait de poser une intéressante réflexion sur notre rapport global à l’alimentation, et je ne peux que vous inviter à venir vous faire une idée par vous-même lors d’un des prochains dîners, que le dojo de la montagne sans sommet prévoit d’organiser tous les deux mois environ.
En matière de liliaceas, nous avons tout de même eu droit à des asperges mais dont le goût très fort fut étouffé par une sauce aux noix. Par contre pas cool pour leurs bulbes.